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JEAN-SIMÉON CHARDIN
                        (PARIS, 1699 – PARIS, 1779)
                        (attribué à)


                        La Femme aux œufs

                        Vers 1726
                        Huile sur toile signée
                        129 x 97 cm.

                        Publication
                        Œuvre reproduite dans le Catalogue raisonné de Chardin, Wildenstein, 1969 (n° 9 p. 142 ;
                        fig. 5 p. 143).
                             Cette jeune femme qui nous dévisage avec tranquillité semble tout juste revenir de la
                        ferme voisine d’où elle a rapporté un panier d’œufs frais. Assise au milieu de la campagne,
                        elle  pose  cependant  avec  maintien,  comme  elle  poserait  au  milieu  de  son  salon. Tandis
                        que sa main droite, protectrice, achève de couver les œufs, son autre main, relâchée, tient
                        délicatement une branche de lilas, autre gage de sa promenade champêtre. Tout dans sa mise
                        rangée évoque la femme de la petite bourgeoisie. Vertueuse, un bonnet de dentelles recouvert
                        d’un fichu de lin blanc dissimule sagement sa chevelure. Pieuse, une croix dorée pend au
                        bout d’un ruban de velours noir qui lui ceint le cou. Soignée enfin, un corsage à basque d’un
                        précieux tissu de soie damassée aux reflets moirés, répond avec naturel, par son vert d’eau
                        au rouge vermillon de son ample jupe. Ultime touche de ménagère factice, un tablier de
                        gaze blanche vient terminer cette toilette, apportant une légèreté vaporeuse à l’ensemble. Le
        42              peintre joue ici en effet avec les diverses tonalités de blancs pour mieux rendre les variations
                        de densité de matières. Tantôt mat pour rendre la fraicheur des œufs, tantôt transparent
                        pour exprimer la légèreté d’une gaze ou d’une dentelle, le blanc se densifie ou se délaye selon
                        une gamme savante. Mais si la blancheur laiteuse des œufs vient souligner la carnation de
                        porcelaine de la main blanche, elle contraste en revanche avec le teint légèrement couperosé
                        des joues de la jeune femme, nouvelle preuve son origine modeste et probablement du
                        contexte intime de ce portrait. Point ici de fards pour signifier un statut aristocratique mais
                        une touche plus libre pour révéler la vérité des traits.

                             Le sujet passe en effet pour être Marguerite Saintard, épouse de Jean-Siméon Chardin
                        qui la rencontra en 1724 et avec laquelle il partagera une dizaine d’années avant qu’elle ne
                        s’éteigne en pleine jeunesse en 1735. Malgré l’attestation de la signature, S. Chardin, la
                        paternité de ce tableau est suspendue, faute de documents écrits pour en certifier l’origine.
                        Pour autant, la touche est de première qualité, dans la veine de celle du maître. Le soin accordé
                        au rendu des matières – étoffes, carnation... jusqu’aux délicats pétales du lilas – témoigne
                        de la virtuosité de son auteur. Le sujet, pris dans son intimité, est révélé sous ses traits réels
                        sans flagornerie aucune. Il est bien « peint avec le sentiment » tel que le préconisait Chardin
                        et n’est pas sans rappeler quelque parenté avec la jeune femme du Bénédicité du Louvre ou de
                        la Jeune fille au volant des Offices, toutes deux à la carnation gentiment rubiconde. Mais s’il
                        est vrai que Chardin fit relativement peu de portraits, leur préférant les natures mortes qui
                        firent sa célébrité, il n’en reste pas moins que ce portrait est d’une main experte. Quid d’un
                        Nicolas-Bernard Lépicié l’un des plus talentueux suiveurs de Chardin ?
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