Page 42 - catalogue tableaux_08-2020
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JEAN-SIMÉON CHARDIN
(PARIS, 1699 – PARIS, 1779)
(attribué à)
La Femme aux œufs
Vers 1726
Huile sur toile signée
129 x 97 cm.
Publication
Œuvre reproduite dans le Catalogue raisonné de Chardin, Wildenstein, 1969 (n° 9 p. 142 ;
fig. 5 p. 143).
Cette jeune femme qui nous dévisage avec tranquillité semble tout juste revenir de la
ferme voisine d’où elle a rapporté un panier d’œufs frais. Assise au milieu de la campagne,
elle pose cependant avec maintien, comme elle poserait au milieu de son salon. Tandis
que sa main droite, protectrice, achève de couver les œufs, son autre main, relâchée, tient
délicatement une branche de lilas, autre gage de sa promenade champêtre. Tout dans sa mise
rangée évoque la femme de la petite bourgeoisie. Vertueuse, un bonnet de dentelles recouvert
d’un fichu de lin blanc dissimule sagement sa chevelure. Pieuse, une croix dorée pend au
bout d’un ruban de velours noir qui lui ceint le cou. Soignée enfin, un corsage à basque d’un
précieux tissu de soie damassée aux reflets moirés, répond avec naturel, par son vert d’eau
au rouge vermillon de son ample jupe. Ultime touche de ménagère factice, un tablier de
gaze blanche vient terminer cette toilette, apportant une légèreté vaporeuse à l’ensemble. Le
42 peintre joue ici en effet avec les diverses tonalités de blancs pour mieux rendre les variations
de densité de matières. Tantôt mat pour rendre la fraicheur des œufs, tantôt transparent
pour exprimer la légèreté d’une gaze ou d’une dentelle, le blanc se densifie ou se délaye selon
une gamme savante. Mais si la blancheur laiteuse des œufs vient souligner la carnation de
porcelaine de la main blanche, elle contraste en revanche avec le teint légèrement couperosé
des joues de la jeune femme, nouvelle preuve son origine modeste et probablement du
contexte intime de ce portrait. Point ici de fards pour signifier un statut aristocratique mais
une touche plus libre pour révéler la vérité des traits.
Le sujet passe en effet pour être Marguerite Saintard, épouse de Jean-Siméon Chardin
qui la rencontra en 1724 et avec laquelle il partagera une dizaine d’années avant qu’elle ne
s’éteigne en pleine jeunesse en 1735. Malgré l’attestation de la signature, S. Chardin, la
paternité de ce tableau est suspendue, faute de documents écrits pour en certifier l’origine.
Pour autant, la touche est de première qualité, dans la veine de celle du maître. Le soin accordé
au rendu des matières – étoffes, carnation... jusqu’aux délicats pétales du lilas – témoigne
de la virtuosité de son auteur. Le sujet, pris dans son intimité, est révélé sous ses traits réels
sans flagornerie aucune. Il est bien « peint avec le sentiment » tel que le préconisait Chardin
et n’est pas sans rappeler quelque parenté avec la jeune femme du Bénédicité du Louvre ou de
la Jeune fille au volant des Offices, toutes deux à la carnation gentiment rubiconde. Mais s’il
est vrai que Chardin fit relativement peu de portraits, leur préférant les natures mortes qui
firent sa célébrité, il n’en reste pas moins que ce portrait est d’une main experte. Quid d’un
Nicolas-Bernard Lépicié l’un des plus talentueux suiveurs de Chardin ?