Page 198 - catalogue tableaux_08-2020
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GEORGES ROUAULT
(PARIS, 1871 – PARIS, 1958)
Arlequin
1948
Huile sur toile 40 x 32 cm.
Certificat Fondation Georges Rouault
Accumulation de formes géométriques, presque abstraites, qui s’emboitent et se
coordonnent, ce portrait ne renvoie guère à une quelconque identité. Quelques indices telles
les deux diagonales de couleurs qui suggère un chapeau triangulaire, la courbe blanche qui
indique une collerette et enfin la mosaïque de couleurs qui structure la composition, nous
invite à reconnaitre Arlequin, personnage de la Comedia dell’Arte. Mais du caractère comique
de ce bouffon, il ne subsiste rien… Ses traits sont rendus avec une grande épure par de larges
cernes noirs qui dessinent l’arrête verticale et régulière du nez, les arcades sourcilières et les
yeux, mi-clos. La bouche se résume à un trait horizontal légèrement renflé pour signifier
la lèvre inférieure. Cependant, au-delà de la prégnance de sa ligne, Rouault excelle ici à
exprimer la matière. Sa touche, ample et généreuse, procède par superposition de couches,
empilement stratigraphique où les couleurs se succèdent laissant transparaitre les niveaux à
travers le tracé irrégulier du pinceau… Ainsi peut-on suivre les différents passages et constater
comment les couches claires du visage et du cou se posent en dernier lieu sur une palette
plus jaune contribuant à renforcer les contours et apportant un modelé étrange proche du
maquillage. L’arrière-plan, réduit par un cadrage très serré, obéit aux mêmes lois. La même
198 couleur blanche s’étale en petits aplats sur un rouge initial qui transperce çà et là ; puis ce
blanc vient encadrer la composition, dédoublant le cadre réel comme pour finalement mettre
à distance ce personnage impassible au regard étrange. Ce réseau graphique cloisonnant des
formes, où la couleur pure semble dominer, n’est pas sans nous rappeler l’art du vitrail auquel
Rouault se forma et nous situe dans un art sacré, renvoyant ce visage à celui d’un saint ou
même d’un ange.
Georges Rouault (1871-1958) est un peintre et graveur français. Fils d’ébéniste, il suit
d’abord une formation comme peintre de vitraux. Entré à l’école des Beaux-arts de Paris, en
1891, il devient l’élève préféré de Gustave Moreau dont la mort l’affectera profondément.
S’ensuit un période de crise esthétique où il développe une peinture aux accents lyriques
voire grotesques, caricaturant ses contemporains, des salles d’audience à la rue, peignant avec
ironie juges, clowns et prostituées… Impulsif et passionné, Rouault n’a jamais revendiqué
d’appartenance à aucun mouvement ; il ne cherche pas à séduire son public. Sa nomination
comme conservateur du musée Gustave Moreau en 1902, lui permet une indépendance
dans son travail. En 1903, il fonde le salon d’automne avec ses amis Matisse et Marquet. La
reconnaissance arrive quand, en 1917, le marchand d’art Ambroise Vollard lui achète la totalité
de son atelier (770 œuvres) et lui commande des gravures pour de nombreuses publications,
Le père Ubu, Les Fleurs du mal, Miserere (58 planches),… au point que la gravure supplante
un temps sa peinture et influence profondément son style vers une synthèse des formes.
Fervent catholique, Rouault développe des thèmes religieux, comme son Christ bafoué par les
soldats, de 1932, aujourd’hui au MoMA de New York. Mais en réalité, c’est toute sa peinture
qui est empreinte de sacré, en particulier ses portraits, dans lesquels il recherche le visage du
Christ, tel dans cet Arlequin dont l’hiératisme et l’impassibilité participent de cette quête.
Il appartient à toute une série de figures à l’accent méditatif désormais conservés au Centre
Gorges Pompidou à Paris.