Page 116 - catalogue tableaux_08-2020
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CHARLES-FRANÇOIS GRENIER DE LACROIX,
DIT LACROIX DE MARSEILLE
(MARSEILLE, 1700 – BERLIN, 1782)
Port du sud avec l’Arche de Titus
1780
Huile sur toile signée et datée en bas à gauche « De Lacroix 1780 »
65,5 x 93 cm.
Dans la clarté de l’aurore on s’affaire déjà dans ce port à l’aspect pittoresque. Il s’agit
plutôt d’une rade fermée à gauche à l’arrière-plan par une montagne avec une forteresse en
contrebas. Au premier plan, point de quai mais des rochers plats auxquels on vient accoster
en s’amarrant à des piquets plantés dans l’eau. Dans une barque des pêcheurs tirent leurs
filets tandis que sur la berge deux femmes nous désignent le centre de la rade où mouille
un splendide trois-mâts. Autour du navire gravitent des chaloupes. La mer est d’huile. Mais
l’objet singulier de ce paysage portuaire est surtout la ruine de cet arc de triomphe romain,
imposant bien qu’en partie enfoui. Il domine le port et arbore fièrement son origine antique
par une plaque gravée dont on ne distingue que l’inscription latine SPQR, attestant de sa
romanité. Le plafond à caissons de son intrados, les colonnes engagées, les reliefs qui l’ornent
– victoires ailées et frise de personnages – nous révèlent sa parenté avec l’arche de Titus à
Rome. Son emplacement pourrait paraitre singulier même s’il existe sur le port d’Ancône l’arc
de Trajan. Pour autant, celui-ci ne témoigne pas d’un lieu réel mais bien imaginaire à la façon
des « caprices » tels qu’on les appréciait depuis le XVIIe siècle, à l’instar de Claude Lorrain
116 ou plus proche de l’artiste, Hubert Robert. A bien y regarder, les personnages semblent aussi
fantaisistes. Ce pêcheur allongé au premier plan prend la pose d’un dieu-fleuve brandissant
son trident. Il évoque les antiques célèbres du Tibre ou du Nil.
Lacroix de Marseille (1700-82) est un peintre paysagiste français qui s’établit à Rome,
de 1750 à 1763, où il découvre à la fois l’Antique et la peinture de paysages héritée du
siècle précédent. En effet, le Lorrain mais aussi Poussin ont initié ce genre où abondent des
architectes antiques, citées ou revisitées. Mais ici pas de ports majestueux aux perspectives
rigoureuses mais une prédilection pour le pittoresque et pour une nature plus sauvage.
Lacroix développe un style sous l’influence de Claude-Joseph Vernet qu’il rencontre lors
de son séjour à Rome en 1751 et auprès duquel il apprend à peindre des marines. Vernet
qui vient de recevoir la commande du roi de sa célèbre série des Ports de France recherche
cependant l’exactitude quand Lacroix lui préfère une vision plus poétique. Ce tableau au
format exceptionnellement grand et datant de la fin de sa carrière, en est un brillant exemple.
La maitrise du rendu de l’aube, irradiant toute la baie, restitue avec brio cette lumière
typiquement méditerranéenne. La fraicheur des couleurs à la gamme élégante confère à
l’ensemble une vision enchantée du monde où les personnages évoluent avec naturel. Sa
e
peinture, fort prisée des amateurs du XVIII siècle et qu’il décline à l’envi en en variant
les effets – de nuit, du matin, d’orage, ... – se retrouve aujourd’hui dans les plus grandes
collections privées et publiques. Signalons notamment la Marine du musée des Beaux-arts
de Dijon qui pourrait lui faire un joli pendant.