Page 112 - catalogue tableaux_08-2020
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THÉODORE GÉRICAULT
                        (ROUEN, 1791 – PARIS, 1824)


                        Portrait de naufragé, dit « le père »

                        1818-1819
                        Huile sur toile signée en haut à gauche 60 x 45,7 cm.
                        Certificat Bruno Chenique


                             L’air hagard, le teint olivâtre, les traits émaciés de ce visage offrent toutes les
                        caractéristiques du malheur et de la souffrance et laissent imaginer les épreuves par lesquelles
                        est passé cet homme. Le cadre serré de la composition, l’éclairage violent et frontal, le fond
                        noir concourent aussi à la mise en valeur des accents douloureux de ce « portrait » dont le
                        buste dénudé nous révèle des clavicules saillantes qui ajoutent à son aspect famélique. Pour
                        autant, il ne s’agit pas à proprement parler d’un portrait mais plutôt d’une étude réalisée par
                        Géricault pour préparer son tableau monumental, Le Radeau de la Méduse. En effet, plusieurs
                        modèles ont été convoqués pour réaliser les personnages qui composent son naufrage afin
                        que l’artiste élabore une synthèse de leurs différentes expressions et physionomies. Si certains
                        modèles demeurent anonymes, comme le malade de l’hôpital Beaujon, d’autres sont en
                        revanche bien identifiés, comme le modèle professionnel Cadamour ou encore l’ami du
                        peintre, Lebrun. Ce dernier fut notamment portraituré par Géricault alors qu’il était atteint
                        d’une jaunisse qui donnait à son visage l’allure cadavérique que recherchait précisément le
                        peintre. On sait ainsi, par son biographe Charles Clément, qu’il réalisa plusieurs portraits de
        112             Lebrun pour le personnage du « père qui tient son fils mourant sur ses genoux », à Sèvres où il
                        poursuivait sa convalescence. Fort de ses différentes quêtes d’expressions, Géricault peaufina
                        son personnage du « père », qu’il plaça au premier plan en bas à gauche de son tableau. Figure
                        la plus populaire du Radeau, ce vieillard fit l’objet d’une attention particulière de la part
                        de l’artiste qui en fit au moins une réplique. Ce portrait constitue ainsi, aux côtés de celui
                        conservé au musée des Beaux-Arts de Besançon, le second témoignage de cette recherche de
                        l’expression du désespoir pour le personnage le plus emblématique de son œuvre.

                             Théodore Géricault (1791-1824) est le premier peintre romantique français. Formé
                        dans l’atelier de Carle Vernet, il étudie auprès de Guérin. Bien qu’ayant échoué au concours
                        du Prix de Rome, il part pour l’Italie en 1816, découvrir les peintres de la Renaissance. Il est
                        alors fortement frappé par les œuvres de Michel-Ange dont l’influence est manifeste dans
                        les anatomies puissantes de son œuvre phare, Le Radeau de la Méduse, dont ce personnage
                        constitue une figure majeure. Exposé au salon de 1819, le récit de ce fait divers, élevé au rang
                        de peinture d’histoire par son format monumental, fit scandale et divisa la critique. L’horreur
                        du sujet fascina, provoquant tantôt le dégoût pour cet « amas de cadavres » jugés trop réalistes,
                        mais aussi l’admiration pour un tableau moderne au sujet politique et d’actualité. Dépité,
                        Géricault décide de partir pour l’Angleterre avec son tableau où il découvre alors les paysages
                        de Turner et de Constable qui l’invitent à enrichir les registres de sa peinture. Passionné
                        par la monde équestre, Géricault est aussi le peintre des chevaux auxquels il consacre de
                        nombreux tableaux jusqu’à en réaliser des « portraits » à l’allure presque humaine. Il mourra
                        d’ailleurs des suites d’une chute de cheval.
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