Page 216 - catalogue tableaux_08-2020
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MAURICE UTRILLO
                        PARIS, 1883 – DAX, 1955)


                        Sain - Loup - sur - Semouse

                        Vers 1934
                        Huile sur toile signée en bas à droite
                        45 x 55 cm.


                             Une rue au printemps dans une petite ville de province où les maisons n’excèdent
                        pas deux étages. C’est le printemps à St Loup sur Semouse et de timides feuilles garnissent
                        depuis peu les arbres de leur vert tendre. Les maisons d’un blanc cassé s’alignent sagement,
                        décroissant vers le centre de la composition où l’on devine le clocher d’une église. Celle-ci est
                        cependant en partie dissimulée par une bâtisse imposante qui obstrue la percée, obligeant la
                        rue à se scinder de chaque côté pour la contourner. Selon une approche qui lui est coutumière,
                        Utrillo nous construit ici une perspective ordonnée, rectiligne, appliquée, où les lignes de
                        fuite ne cherchent pas à se dissimuler, tel ce rebord de trottoir à droite, comme tiré au
                        cordeau. Ces lignes droites et noires quadrillent d’ailleurs l’espace, cernant chaque maison,
                        chaque fenêtre aux persiennes le plus souvent closes, pour construire un damier aux teintes
                        irrégulières. Pourtant la composition n’est en rien monotone car le peintre sait en bousculer
                        la  régularité  par  un  jeu  subtil  de  couleurs  déclinées,  mais  aussi  par  l’introduction  d’une
                        curieuse dissymétrie. Si à gauche des arbres de petite taille s’égrènent à intervalles réguliers, à
                        droite, en revanche, un seul arbre, beaucoup plus haut, leur fait face de l’autre côté de la voie,
                        masquant, imagine-t-on, l’alignement de ses semblables. L’importance accordée à cet arbre
        216             introduit ainsi une singularité à la composition, qui en fait tout le charme. Les trottoirs eux
                        aussi se répondent avec leur ligne propre. Au trait sinueux et dédoublé du trottoir de gauche,
                        répond le tracé rectiligne à angle droit de celui de droite. Mais qu’importent leurs disparités,
                        puisque les passants les ignorent pour préférer le centre de la chaussée. Silhouettes immobiles
                        placées là par la volonté du peintre, ces personnages fantomatiques, vite ébauchés, constituent
                        les pièces de cet étrange échiquier. La touche y est partout apparente, caractéristique du style
                        enlevé et naïf d’Utrillo, en particulier dans les feuillages mais aussi dans cette flaque grise au
                        premier plan, brossée à grands traits. Le graphisme sombre de ses tracés perspectifs le dispute
                        à une palette de couleurs subtiles et souvent inattendues, comme ce sol ocre aux accents
                        rosés. Le ciel, quant à lui, éthéré, prend des teintes nacrées où le rose alterne avec le bleu.
                        Peintre urbain, familier des rues animées et populaires, Utrillo, dans sa dernière période dite
                        « colorée », sait faire poindre la nature à travers une palette tendre qui ne doit plus grand-
                        chose à l’urbanité.
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