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CHAÏM SOUTINE
                        (SMILOVITCHI, 1893 – PARIS, 1943)


                        Village avec cyprès dans le Sud de la France

                        Vers 1920-1930
                        Huile sur toile signée en bas à droite 65,6 x 50,5 cm.
                        Certificat Tuchman & Dunow
                        Publication
                        Œuvre répertoriée dans le Catalogue raisonné, Tuchman, Dunow & Perls, Cologne, 1993.


                             Où sommes-nous ? Depuis quel point de vue observons-nous ce paysage auquel le
                        regard doit s’acclimater pour distinguer peu à peu la silhouette familière d’une, puis de deux,
                        maisons aux murs ocre-jaune et aux toits orangés ? Dans ce magma de verdure et de roche,
                        on discrimine, au fur et à mesure de son exploration, les différents espaces qui cohabitent
                        dans cette toile. Au premier plan, rocheux et imprécis, succède une zone verte de frondaisons
                        d’arbres parmi lesquels pointent deux ou trois cyprès et d’où émergent quelques maisons.
                        Au-delà, une zone bleue nous suggère la crête d’une montagne, puis enfin, le ciel. Toute en
                        tension, cette composition est traversée diagonales descendantes de gauche à droite qui la
                        découpent en différents plans. La palette de couleurs, flamboyante et tactile, accumule des
                        tons vifs et purs – verts, bleus, rouges et jaunes – dont les pigments semblent triturés à la
                        surface même du tableau, obtenant ainsi une croûte épaisse. On devine combien Soutine
                        s’est immergé dans son motif et s’est affranchi des lois de la perspective pour recomposer
        210             l’espace selon sa propre perception. Il opère ici, une fusion entre les formes, entre les plans,
                        entre le proche et le lointain. L’espace dense et comprimé confine à l’abstraction.

                             Chaïm Soutine (1893-1943) est un peintre juif russe, émigré en France, et qui
                        appartient à « l’Ecole de Paris ». Après des études à Vilnius, il arrive à Paris en 1912, et
                        s’installe à la Ruche, où il rencontre Chagall et Modigliani, qui le prend en charge. S’il se
                        joint à la bohême de Montparnasse, il reste indépendant des mouvements artistiques de son
                        temps. Il fréquente assidûment le Louvre, où il admire Rembrandt, Courbet et Chardin.
                        Il traverse, cependant, des années difficiles, durant lesquelles le poète et marchand d’art
                        Léopold Zborowski le finance et l’envoie peindre dans le Sud de la France où il se consacre
                        au paysage. C’est de cette époque, dite du « style de Céret », que date ce Village avec cyprès.
                        De retour à Paris, il est découvert par le marchand Paul Guillaume et rencontre le riche
                        collectionneur américain Barnes qui lui achète une trentaine œuvres d’un coup. Dès lors,
                        sa côte monte et sa carrière s’envole. Bientôt, sous la protection amicale de la décoratrice
                        Madeleine Castaing, il sort de l’indigence et mène une vie plus confortable. Cependant,
                        souffrant d’un ulcère à l’estomac, qui l’emportera à 50 ans, Soutine est un peintre tourmenté
                        et asocial. Il développe une technique très particulière où il utilise pigments et pinceaux
                        dans un corps à corps violent avec la toile, allant jusqu’à peindre avec ses doigts. Son style
                        expressionniste exprime une grande exaltation distordant l’espace et les éléments ; la touche
                        est grasse et épaisse, les couleurs vives. Les paysages de Céret atteignent le paroxysme de cette
                        violence expressive, sismique.
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